TABLES DES MATIERES DE VOTRE NEWSLETTER 8 en date du 19 décembre 1998 |
Droit de la décoration (agissement parasitaire)
Abus de biens sociaux et atteinte à l'intérêt social
Le recours à lAdministrateur Judiciaire doit rester lexception !
Dol ne vaut pas nécessairement nullité
Clause d'inaliénabilité et action de concert
Sanction du non-respect dun pacte de préférence
de la possibilité des tiers de se prévaloir des limitations de pouvoirs du Gérant
Une mésentente ne vaut pas forcément dissolution
Perte de plus de la moitié du capital et délai de convocation
Je vous propose pour clore cette année 97 de traiter de lactualité du droit des sociétés.
Cette matière senrichit énormément, que ce soit par la technique contractuelle de plus en plus sophistiquée ou par le contentieux, puisque les contestations par des associés ou actionnaires sont de plus en plus fréquentes.
Parallèlement, plusieurs associations ayant pour objet la défense des droits du petit porteur voient le jour et, dans certains cas, voient même leur représentant(e) siéger au Conseil de Surveillance ( ).
De plus en plus dinstruments de contrôle vont donc être octroyés afin de permettre à lactionnaire une veille (efficace ?) sur ses investissements un peu à limage de ce que prévoit le droit anglo-saxon.
Parallèlement, il semble que lEtat ait enfin pris en compte le besoin de financement des sociétés françaises qui souhaitent que lépargne se dirige vers les entreprises afin dêtre en mesure de faire face à la compétition internationale.
En tout état de cause, nul doute que si lépargne des Français se portait vers les entreprises - ce que lon ne peut que souhaiter - des contrôles de plus en plus rigoureux seront institués afin de tenter déviter des sinistres.
Je mefforcerai de vous en tracer les grandes lignes au travers de ma " Newsletter " trimestrielle.
Pour lheure, je profite de loccasion pour vous souhaiter dexcellentes et chaleureuses fêtes de fin dannée ainsi quune excellente nouvelle année 1998.
Enfin, il me reste à vous annoncer que lannée 1998 sera aussi celle de mon déménagement en de nouveaux locaux situés au 56 avenue Victor Hugo 75116 Paris.
Mon nouveau numéro de téléphone sera le 01.53.64.52.00 et pour le fax le 01.45.00.45.99
A vos Agendas !
Article 1 : Garantie de Passif
Il est aujourdhui dusage que le cessionnaire dactions ou de parts sociales assortisse lacquisition de ses titres d'une clause de garantie de passif afin déviter toute mauvaise surprise.
Un cessionnaire a toutefois prévu que le cédant devrait reverser au bénéfice de cette dernière les sommes correspondantes au passif non révélé dans les comptes de la société.
La question qui se posait était de savoir si la société ayant mis en jeu ladite clause avait un droit propre contre le cédant en vertu de cette stipulation pour autrui ou si le cessionnaire devait agir puis reverser les sommes à la société.
La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a jugé dans une décision remarquée du 7 octobre 1997 que la clause constituait une stipulation pour autrui permettant à la société dagir directement contre le cédant pour obtenir paiement.
Article 2 : Droit de la décoration !
Si votre société exploite un concept, un agencement propre et une décoration faisant naître une ambiance et quun de vos concurrents cherche à sinscrire dans votre sillage, dans lhypothèse où vous ne pouvez lui opposer un droit de propriété intellectuelle, vous pouvez toujours agir en parasitisme déloyal (dérivé de la concurrence déloyale).
En effet, un distributeur de parfum avait repris lensemble de linspiration des magasins Séphora en usant des mêmes combinaisons de couleurs tant à lintérieur quà lextérieur des lieux de ventes, placé le même type de poteau noir et une caisse centrale comportant deux arcs de cercle et des gondoles aux extrémités arrondies.
La 4ème chambre de la Cour dAppel de Paris a jugé que lexploitation de la réputation dun concurrent, lui permettant ainsi de ne pas investir dans des études et travaux concernant les agencements et la décoration constituait une concurrence parasitaire.
Cest normal, mais encore un peu nouveau, ce qui fait que je pensais intéressant de vous citer ladite décision.
Article 3 : Abus de biens sociaux et atteinte à lintérêt social
Il est admis depuis longtemps quil ne peut y avoir abus de biens sociaux que si lusage fait des biens de la société ne concoure pas à lintérêt de la société, bien évidemment tout à fait distinct de celui de ses membres (même sils sont associés par ailleurs).
Cest ainsi quil a été admis que le versement de pots de vins nétait pas forcément un abus de bien social dans la mesure où il peut servir lintérêt de la personne morale.
En dautres termes " lusage des biens nest pas nécessairement abusif lorsquil est fait dans un but illicite ".
Toutefois la Cour de Cassation vient de dire dans une décision récente mettant en cause une personnalité politique que ce nest pas seulement lavantage (le désavantage, en fait) économique qui peut servir (ou desservir) lintérêt social.
Il peut encore sagir du crédit ou de la réputation de la société mis à mal par lusage des biens réalisés dans un but illicite.
" Quel que soit lavantage à court terme quelle peut procurer, lutilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à lintérêt social en ce quelle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ".
Dans le cas despèce, ce qui a conduit à cette solution semble résulter de lattitude ambiguë des dirigeants qui, pour un coût élevé, ont consolider leur situation au sein de la société et qui ont donc aussi (et peut être surtout) agi à des fins personnelles (Cass. Crim., 27 octobre 1997, n° J 96-83.698 PF, n° 5593).
En tout état de cause cette décision est en retrait par rapport à celle du 22 avril 1992 pour laquelle toute dépense effectuée dans un but illicite constituait nécessairement un abus de bien social.
Article 4 : Le recours à lAdministrateur Judiciaire doit rester lexception !
Il est de plus en plus fréquent que certains associés mécontents se regroupent et contestent en justice telle ou telle décision de gestion.
Cest ainsi quune fraction dactionnaires contestant le montant de la rémunération du dirigeant et lexécution des contrats de location gérance ont sollicité et obtenu la désignation dun administrateur judiciaire en première instance.
La Cour dAppel de Paris a infirmé lordonnance en rappelant quune telle désignation ne pouvait être quexceptionnelle, ce qui nétait manifestement pas le cas puisque " il nétait pas établi, ni dailleurs sérieusement allégué, que les intérêts sociaux soient en péril ou que la gestion de la société soit devenue impossible ".
A mesure exceptionnelle, il faut une situation exceptionnelle. Cest ce que vient de rappeler très justement la Cour dAppel de Paris.
CA Paris, 3ème chambre B, 29 novembre 96 : RJDA 1997, p. 134)
Article 5 : Dol ne vaut pas nécessairement nullité
Un cessionnaire intente une action sur le fondement de larticle 1116 du Code Civil et sollicite le remboursement du trop perçu par les cédants qui avaient manifestement surévalué le prix des parts sociales.
La Cour de Pau rejette la demande au motif que sil y a vice du consentement, le demandeur ne peut agir quen nullité et non demander une réduction du prix de vente.
Notons à cet égard (mais ce nest pas le sujet) que la preuve de telles manoeuvres nest pas aisée.
La Cour de Cassation a censuré cette décision en précisant " que la victime dun dol peut, à son choix, faire réparer le préjudice que lui ont causé les manoeuvres de son cocontractant par lannulation de la convention et, sil y a lieu, par lattribution de dommages et intérêts, ou simplement par une indemnisation pécuniaire qui peut prendre la forme de la restitution de lexcès de prix quelle a été conduite à payer... ".
Dans le cas où il y a avantage à conserver les droits sociaux, cette solution nest pas à négliger. Toutefois, il vaut mieux prévoir des clauses de garantie de passif, cest beaucoup plus sûr !
Au surplus cette décision est étonnante puisqu'un vice du consentement nest pas une cause de nullité lorsquelle porte sur la valeur des droits sociaux...puisquil faudrait à mon sens prouver que la faculté de réaliser lobjet social de la société est sérieusement affecté !
Article 6 : Clause dinaliénabilité et action de concert
Il est courant lors de lintroduction en bourse dune PME, à caractère familial, et y étant contrainte par ses besoins de financement, que les actionnaires prévoient des pactes entre eux afin de conserver le contrôle de celle-ci par le maintien dun bloc majoritaire.
Cest dans cette perspective que des actionnaires étaient convenus disoler sur les registres nominatifs de la société un compte particulier où étaient inscrits 51% du capital social des membres du pacte.
Il est prévu par ailleurs que ce compte est indisponible pendant la durée de laccord (qui doit être limitée dans le temps...), des cessions ou mutations pouvant intervenir à lintérieur de chaque famille signataire si et seulement si lesdites opérations ne modifient en rien le bloc majoritaire.
Les parties se sont encore engagées à sinformer mutuellement de leurs intentions préalablement à une cession permise afin que lensemble des membres puisse acquérir.
Enfin la durée dudit pacte est fixée à trois ans tacitement reconductibles sauf dénonciation 3 mois avant chaque terme.
Cette convention a été transmise au Conseil des Marchés Financiers (ex CBV) telle que prévue par larticle 356-1-4 de la Loi sur les Sociétés Commerciales de 1966.
Or, le CMF a considéré quil y avait " action de concert " en ce que lobjectif du maintien de contrôle, qui sous tend lengagement dincessibilité pris par les parties, est assuré par la réunion entre elles, calculé de manière globale, de 51% du capital et non par la détention figée par chacune dun quota de titres. Il en résulte que cet engagement suppose une concertation entre les parties.
Les conséquences de cette qualification sont loin dêtre neutres puisque les membres du pacte sont débiteurs solidairement des obligations prévues en la matière par les Lois et Règlements (assorties de sanctions civiles et pénales en cas dinobservation) et notamment aux obligations dinformations et de mises en uvre des procédures boursières dOPA, OPR, garanties de cours...dès que les circonstances lexigent.
(Décision CMF, 24 octobre 1997, BALO, 27 octobre 1997, p. 15727)
Article 7 : Sanction du non-respect dun pacte de préférence
Le propriétaire dun immeuble avait promis à son locataire de lui consentir un droit de préemption au cas où il envisagerait de mettre en vente limmeuble dont s agit.
Or ce dernier a vendu ledit immeuble sans même en aviser son locataire alors même que lacquéreur connaissait la stipulation du propriétaire.
Eu égard aux éléments de la cause, la Cour dAppel de Paris a substitué le bénéficiaire du pacte de préférence aux même prix et conditions.
La Cour de Cassation a cassé cette décision au motif que toute obligation de faire ou ne pas faire se résout en dommages et intérêts.
Si je vous rapporte cette décision dans ce numéro cest parce que le même raisonnement vaut sil y a pacte de préférence sur des parts sociales ou des actions... à sans doute une différence près en cas de collusion frauduleuse prouvée (qui pourrait alors peut-être permettre l'annulation de la vente des titres....mais il faut toutefois rester prudent car les conséquences peuvent être extrêmement importantes pour une personne morale ; il faut alors préférer le droit de préemption, par exemple).
Cass. 3ème chambre civile, 30 avril 1997, Bull Civ 3, oct. 97, P. 877.
Article 8 : de la possibilité des tiers de se prévaloir des limitations de pouvoirs du Gérant
Une société a interjeté appel dune décision rendue par un Conseil des Prudhommes. Le salarié conteste la validité de la déclaration dappel en se fondant sur le défaut de pouvoir dester en justice du dirigeant conformément à une disposition statutaire prévoyant que pouvoir doit lui être donné à cet effet par délibération spéciale.
La société fait valoir que les dispositions limitant statutairement les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers.
Toutefois la Cour de Cassation ne revenant pas sur linopposabilité de la limitation des pouvoirs aux tiers poursuit en déclarant quil nest cependant pas interdit aux tiers de sen prévaloir !
et cela peut parfois être lourd de conséquence... !
Cass. Soc. 11 juin 1997, n° 94-43.822.
Article 9 : Une mésentente ne vaut pas forcément dissolution
Larticle 1844-7, 5° du code civil dispose quune mésentente paralysant le fonctionnement de la société est un cas de dissolution judiciaire qui peut être sollicité par un associé.
En lespèce, il sagissait de deux associés égalitaires ayant des différents.
La Cour de Cassation vient de rappeler qu'une mésentente ne peut fonder à elle seule une dissolution. Il faut encore apporter la preuve quelle a pour effet de paralyser le fonctionnement de la société.
Cass. Com 21 octobre 1997, N° 2182 P.
Article 10 : Expertise de Gestion
Une décision récente de la Cour de cassation rappelle que les actionnaires représentant au moins le dixième du capital social dune S.A. peuvent demander en justice la désignation dun expert chargé de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion (art. 226 Loi de 1966).
Il a été précisé à cette occasion quil nétait pas nécessaire pour lesdits actionnaires de rapporter la preuve de lépuisement de tous les autres moyens dinformation.
Cass. Com. 21 octobre 1997, n° 2083 P.
Article 11 : Délai de convocation / perte de plus de la moitié du capital social.
Larticle 241, alinéa 1 de la loi sur les sociétés commerciales prévoit que si du fait de pertes, les capitaux propres dune SA deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil dadministration ou le directoire, selon le cas, est tenu, dans les quatre mois qui suivent lapprobation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer lA.G.E. à leffet de décider sil y a dissolution ou poursuite de lactivité.
Il résulte de ces dispositions que le délai ne court quà compter de lassemblée ayant approuvé les comptes.
Toutefois certains commentateurs, suivis par certains praticiens, avaient considéré que le texte semblait ne pas interdire de convoquer le même jour lAGO aux fins dapprobation de compte et lAGE afin de statuer sur la dissolution.
La commission des études juridiques de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes estime que la décision de dissolution étant très importante, le législateur de 1966 a probablement voulu que les actionnaires aient un délai de réflexion après constatation des pertes.
Elle considère que la convocation du Conseil dAdministration devant avoir lieu dans les quatre mois qui suivent lapprobation des comptes, la convocation ne peut être émise quaprès lapprobation des comptes et que par conséquent lAGE ne peut se tenir au plus tôt que 15 jours après lassemblée ayant approuvé les comptes.
Il faudra en tenir compte !
Bulletin CNCC septembre 1997 n° 107, p. 427 et 428.